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Cliché : "les jeunes ne passent plus le permis de conduire et circulent tous à vélo"

  • Photo du rédacteur: Caroline Leroy
    Caroline Leroy
  • 11 sept. 2024
  • 9 min de lecture

Dernière mise à jour : 28 juil.

Les clichés sur les jeunes sont nombreux, et traduisent les représentations que la société porte sur cette catégorie. Dans cette série d’articles portant sur les jeunesses dans la région grenobloise, les partenaires de l’OBS'y documentent les idées reçues sur ces habitants.

Pour approcher ce thème des mobilités chez les jeunes, plusieurs sources ont été mobilisées, mêlant enquêtes locales, quantitatives et qualitatives ainsi que des articles de presse.


Des jeunes plus mobiles qu’avant, prêts à se déplacer pour accéder à un emploi, voyager, etc., est-ce toujours la réalité ? En ville, à la campagne, les réalités sont diverses, les freins aussi… des tendances émergent, côté voiture, avec un passage du permis de conduire de plus en plus tardif et une augmentation, en résonance, de l’usage des voitures sans permis mais aussi du vélo. À nuancer selon les territoires.


L'obtention du permis de conduire, de plus en plus tardive

Taux de possession du permis de conduire selon le territoire de résidence
Source : EMC², SMMAG.

Après des décennies d’augmentation du taux de détention du permis de conduire chez les jeunes, une tendance à se présenter plus tardivement à l’examen, observable depuis les années 2000, s’amplifie : 76 % des 18-24 ans étaient titulaires du permis de conduire en 2002 sur le périmètre du Syndicat mixte des mobilités de l'aire grenobloise (SMMAG), ils ne sont plus que 60 % en 2020. Ce phénomène est observable tant chez les hommes que chez les femmes, la tranche d’âge des 18-24 ans étant d’ailleurs la seule pour laquelle ce taux est identique selon le genre. Ce n’est qu’à partir de 30 ans que la part de titulaires du permis de conduire atteint près de 90 %, proche de la moyenne de la population.


Taux de possession du permis de conduire selon l'âge et le genre, territoire du SMMAG
Source : EMC², SMMAG.

Cette tendance à repousser le passage du permis de conduire est nettement plus marquée dans le cœur métropolitain, où l’offre de mobilité alternative est plus abondante et l’usage de la voiture potentiellement moins pratique que les autres modes de déplacement (circulation, stationnement, etc.).


Différentes études sociologiques récentes mettent en évidence plusieurs facteurs d’explication :

  • Les facteurs économiques : ce phénomène touche notamment les jeunes dont les revenus sont les plus bas, le coût du permis de conduire est un facteur limitant son passage. Le non-accès à la voiture peut alors devenir un frein à l’accès à l’emploi.

  • Les facteurs culturels :  le passage du permis de conduire est moins vu par les jeunes comme un rite de passage à l’âge adulte que comme une compétence, un diplôme qu’il est utile d’avoir. Ainsi, on passe le permis quand on en a le temps et les moyens, la priorité est généralement donnée à d’autres choses, notamment les études.


Un recul de l’usage de la voiture, qui reste toutefois dominant passés 25 ans

Tendance observable depuis le début des années 2000, le nombre quotidien de déplacements en voiture diminue de façon globale. Ce phénomène touche les jeunes adultes, aussi bien entre 18 et 24 ans, période où l’on quitte le nid familial, qu’entre 25 et 34 ans, à la pleine entrée dans la vie adulte. En cause, une baisse de la mobilité totale¹ par rapport aux générations précédentes, mais aussi un recours plus fréquent à la marche et aux transports collectifs pour les 18-24 ans, et à la marche et au vélo pour les 25-34 ans.

L’entrée dans la vie active entraine de profondes évolutions dans le mode de vie. Elle s’accompagne d’un décrochage dans les comportements de mobilité au-delà de 25 ans. Souvent de nouvelles contraintes apparaissent, comme l’éloignement entre lieu de travail et lieu d’habitation, l’arrivée d’un enfant, etc. En parallèle, les contraintes économiques diminuent, les ménages sont davantage équipés en véhicules. Fidèles utilisateurs des transports collectifs entre 18 et 24 ans, les jeunes sont près de deux tiers à investir dans un abonnement TC, mais ils ne sont plus qu’un quart entre 25 et 34 ans. L’usage des transports collectifs est alors divisé par trois, tandis que celui de la voiture est deux fois plus élevé.

nombre de déplacements par jour et par personnes pour les 18-24 ans et les 25-34 ans
Source : EMD 2002 et 2010, EMC² 2020, SMMAG.

Les 25-34 ans, champions du vélo !

A l’échelle du SMMAG, les jeunes de 18-24 ans déclarent à 70 % ne jamais utiliser le vélo, chiffre légèrement supérieur à la moyenne de la population. A l’inverse, les 25-34 ans sont les plus nombreux à utiliser le vélo régulièrement : près de 10 % de cette tranche d’âge déclare se déplacer quotidiennement en vélo, et 27 % plusieurs fois par mois.

L’utilisation du vélo pour se déplacer est plus fréquente en cœur urbain, en lien avec des distances à parcourir plus courtes, et un réseau cyclable plus développé. Ainsi, 23 % des habitants du cœur métropolitain déclarent utiliser régulièrement le vélo, contre 13 % des habitants du reste du territoire du SMMAG.  Cette tendance se retrouve chez les jeunes, avec, dans le cœur métropolitain, près d’un jeune de 18 à 24 ans sur quatre, et une personne de 25-34 ans sur trois, qui déclare utiliser le vélo plusieurs fois par mois.

fréquence d'usage du vélo selon l'âge et le territoire
Source : EMC² 2020, SMMAG.

Un changement du rapport à la mobilité chez les jeunes ?

L’usage de la voiture est de moins en moins automatique et exclusif chez les jeunes, ils sont davantage « multimodaux ». Ils choisissent, avec pragmatisme, parmi les différentes solutions de mobilité possibles, selon leurs besoins. L’importance de l’offre de transport en commun et, dans une moindre mesure, des services de mobilité (vélos en libre-service…), influence le choix du mode de déplacement. Finalement, la voiture fait moins rêver, particulièrement chez les jeunes urbains. Elle est perçue comme un objet fonctionnel, et potentiellement comme une contrainte en centre-ville (coûteuse, difficile à garer, etc.).

De nombreux jeunes sont également préoccupés par l’impact environnemental de l’utilisation de la voiture (pollution, émissions de gaz à effet de serre). Cela peut conforter des choix en faveur des transports collectifs ou des modes actifs (vélo, marche), mais les jeunes qui font de l’écologie un déterminant de leurs pratiques de déplacement sont cependant rares.


Ces tendances, si elles se confirment, pourraient être porteuses de profondes transformations de la mobilité dans les années à venir.



La mobilité des jeunes ruraux : des difficultés accentuées d’accès aux ressources

Outre leur caractère champêtre et bucolique, les milieux ruraux et montagnards sont également marqués par la rareté et la dispersion des ressources. La capacité à se déplacer sur le territoire devient donc primordiale pour accéder à la formation, à l’emploi, aux loisirs mais aussi à la sociabilité. Les transports en commun, souvent lacunaires dès lors que l’on vit à distance des principaux axes de communication, peinent à répondre aux besoins, avec des fréquences et des horaires limités.

Rencontrés par l'Agence d'urbanisme à l'occasion d'une étude sur les précarités en milieu rural, des jeunes témoignent de leurs difficultés pour se déplacer.


« Il y a deux bus qui partent : le bus scolaire qui passe en premier à 7 heures, ensuite il y en a un autre qui passe genre 5 mn après et qui fait tous les villages mais après, il n’y a plus rien. Et pour rentrer, c’est 18 heures. »

Jeune de 22 ans, Saint Antoine l’Abbaye


« Les trains des fois ça fait arriver beaucoup à l'avance, parce qu'on est obligé d'être à l'heure du train, si on prend le prochain on va être en retard, donc on est obligé parfois d'arriver 30 ou 45 mn en avance. »

Jeune de 19 ans, Vinay


Dans un tel contexte, l’accès à l’autonomie se complique sérieusement par rapport à de jeunes urbains. La voiture, avec toutes ses contraintes, s’impose vite comme incontournable. Avant l’obtention du permis de conduire, la dépendance aux parents et à leur disponibilité s’en trouve accrue. Une fois obtenu, se pose alors la question de l’achat d’un véhicule et de son entretien, la capacité à remplir le réservoir. Pour les moins fortunés, on mesure le niveau de difficulté et de perte de chances que cela représente.


« On peut aller jusqu’à St Marcellin mais après ça devient compliqué d’aller plus loin en vrai. Avec le prix de l’essence qui fait qu’augmenter, et en plus vu que la voiture pour l’instant c’est vraiment, comme je disais, une épave. Ça devient vraiment compliqué de se déplacer. »

Jeune de 20 ans, Saint Antoine l’Abbaye.


voiture sans permis stationnée à Championnet
Voiture sans permis stationnée à Championnet, Grenoble. Crédit : P. Lavoillotte.
Les « sans P » : une tendance émergente pour la jeunesse huppée ?

Selon la presse, alors que les voiturettes sans permis ont longtemps été associées au grand âge ou aux déchus du permis de conduire, elles séduisent un nombre croissant de jeunes urbains favorisés en quête d’indépendance. Après l'évolution réglementaire autorisant la conduite de tels véhicules dès 14 ans, les marques ont fait évoluer leurs gammes pour les rendre tendance et branchées. Désormais, moyennant un budget supérieur à 10 000 €, ce type de véhicule de plus en plus en vogue représente une alternative aux traditionnels deux roues, jugé moins dangereux.


Le nombre de véhicules neufs sans permis immatriculés en France a augmenté de près de 60 % entre 2019 et 2021, avec une part de marché représentée jusqu’à 70-80 % par des moins de dix-huit ans pour certaines marques. Dans les Bouches-du-Rhône, la tendance est encore plus accentuée, avec un nombre d’immatriculations multiplié par deux.


Sources presse : 

Lannuzel, C. "Les voiturettes sans permis font fureur chez les ados des beaux quartiers, ils racontent" - Edition du soir Ouest-France - 02/01/2023. Ouest-France. https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2023-01-02/les-voiturettes-sans-permis-font-fureur-chez-les-ados-des-beaux-quartiers-ils-racontent-f50e8992-79a8-4757-a3a0-6681cfea741a

Eplaque. "Les jeunes adoptent la voiture sans permis, qui se réinvente." 26/07/2023. Eplaque.fr  https://www.eplaque.fr/infos/voiture-sans-permis-jeunes-phenomene-mode

Kronlund, S., & Vlahovic, M. "Les sans P ou la vie débridée de la jeunesse dorée" 02/11/2022. France Culture. https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-pieds-sur-terre/les-sans-p-ou-la-vie-debridee-de-la-jeunesse-doree-2055898 

Harounyan, S., "Voitures sans permis : à Marseille, la jeunesse en roue libre". 05/05/2022. Libération. https://www.liberation.fr/lifestyle/voitures-sans-permis-a-marseille-la-jeunesse-en-roue-libre-20220505_YFLZWTTSKRECDDLHCUF7RB72MA/?redirected=1%C2%A0

Romero, B., "La voiture sans permis séduit les jeunes. . . et leurs parents". 14/12/2021. Mobilité Club France. https://www.automobile-club.org/actualites/mobilite/la-voiture-sans-permis-seduit-les-jeunes-et-leurs-parents



Les freins symboliques à la mobilité : les jeunes urbains aussi

Au-delà de la capacité à être mobile, des fractures importantes semblent exister à l’échelle de la Ville de Grenoble entre ses différents quartiers, comme le relève en 2022 l’Analyse des besoins sociaux du CCAS. Les pratiques de mobilité s’avèrent très singulières selon l’origine sociale des jeunes et leur quartier, comme l'expriment de jeunes grenoblois et grenobloises.


« Les bobos du centre-ville on les reconnait tout de suite, déjà ils viennent en vélo »

Témoignage recueilli auprès d’un jeune présent à la Chaufferie, espace jeunesse de la Ville de Grenoble


Aussi, les jeunes font état de frontières symboliques fortes d’un quartier à un autre. Qu’ils ou elles vivent dans les « quartiers » ou en « centre-ville », les jeunes grenoblois-es ont le sentiment d’une ville « morcelée » où les jeunes et plus largement les grenoblois-es ne seraient pas très mobiles. Plusieurs jeunes ont ainsi témoigné de cette ségrégation sociale et spatiale.


« Même Teisseire, avant d’y bosser, j’y avais jamais mis les pieds. En fait, le seul endroit que je fréquentais c’était le centre-ville, le campus j’y ai habité deux ans, Saint Bruno aussi. Mais le reste… les Alliés, Capuche , je connais absolument pas et j’y ai jamais mois les pieds. J’ai jamais eu l’occasion d’y aller, c’est pas que j’ai envie d’y aller. Mes potes habitent pas là bas… Je gravite entre le centre-ville et ses environs, on va dire que ça va de Saint Bruno à Ile verte ».

C., 24 ans


« Nous le centre-ville on y allait juste histoire de se promener ou quoi. Sinon, pas vraiment. La plupart même, on demande à des gens, y en a ils ont jamais quitté leur quartier hein ».

H., 22 ans

 

« Je trouve qu'on a beaucoup de quartiers à Grenoble. C'est beaucoup « quartiers ». Après, peut-être parce que aussi moi je reste beaucoup dedans »

A., 23 ans


Outre le fait de ne pas avoir eu l’occasion de découvrir « d’autres quartiers », ils et elles ont globalement conscient-es de l’existence d’une jeunesse grenobloise « à plusieurs vitesses », où les préoccupations et réalités socio-économiques seraient très différentes. Aussi, plusieurs ont évoqué la distinction selon eux des « jeunes des quartiers » et des jeunes « du centre-ville » et dénoncent les inégalités sociales qui l’accompagnent. Certain-es jeunes ont pu souligner leur attachement au quartier et dénoncer la réputation qui lui été réservée.


« Ouais, il y a une vraie différence. Tu vois les jeunes ici qui s'en sortent à peine. Tu vas en centre- ville, le loyer, c'est papa qui paye. Tu te dis ils ont pas la réalité de la vie en fait. Moi, je trouve qu'il y a aucun mal, y a aucun mal à venir d'une famille riche et à profiter de ce que ta famille donne. Au contraire, c'est un privilège, faut en profiter. Après je trouve juste que ça ferme l'esprit. Voilà, t'as pas la réalité de la vie (…) ça crée des ministres qui savent pas à combien c'est un paquet de pâtes. »

S., 22 ans


« Après le centre-ville ça me fait pas trop envie. C’est pas la même ambiance. Dans le quartier tout le monde se connaît, tout le monde se dit bonjour. Dans le centre-ville les gens ils connaissent pas leur voisin. Y a pas d’entraide, y a pas de on descend en bas de l’immeuble. Les gens ils se regardent de travers (…) Je sais pas le centre-ville ça me fait pas trop envie, en même temps je me dis y a un moment va falloir que je quitte Villeneuve ».

S., 22 ans







Sources des données :

EMD 2002 et 2010, EMC2 2020


Références :




¹ La mobilité est définie comme le nombre de déplacements moyen/jour/personne en semaine hors vacances.

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