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Le temps, une valeur précieuse
« Le temps c’est de l’argent », dit le dicton populaire. Au-delà du temps travaillé, le temps libre est aujourd’hui facteur de valorisation sociale. Son optimisation et sa maitrise sont au cœur des nouvelles stratégies individuelles et collectives. L’envie de consacrer plus de temps à sa famille, de ralentir ou, au contraire, les aspirations à l’accélération, en sont les moteurs. Entre temps subis et choisis, le temps est également révélateur d’inégalités.
Le temps libre consacré
Par l’allongement de l’espérance de vie de près de 15 ans entre 1952 et 2019, couplé à la diminution du temps de travail, le sociologue Jean Viard décrit une « révolution des temps libres¹ » : le travail ne représente plus que 10 à 12 % du temps d’une vie (sommeil compris) contre 40 % en 1936. Le temps consacré aux tâches ménagères décroît légèrement mais reste majoritairement féminin. Le temps libre devient facteur de valorisation sociale, les activités extra-professionnelles et notamment les vacances viennent compléter « qui on est », au-delà de la profession. Tourisme de masse, pratiques artistiques et sportives, bénévolat, rencontres, sont connotés positivement et sont investis comme autant de capitaux sociaux et culturels réinjectés dans le monde du travail. Travail, loisirs, vie familiale : la conciliation, parfois effrénée, de ces différents temps amène l’envie d’optimiser son temps dans chacun des aspects de la vie quotidienne pour 61 % de Français² , notamment les moins de 35 ans et les personnes vivant avec des enfants.
L’enquête IBEST montre que cette dynamique s’adosse à un désir de réduction du temps de travail : « travailler moins pour vivre mieux » serait l’adage renouvelé d’un rapport au temps en faveur de l’épanouissement. En 2018, près de la moitié de la population métropolitaine souhaiterait en effet consacrer moins de temps à son travail, au profit de la famille (56 %), des loisirs (57 %) et des engagements solidaires (52 %). Pour autant, l’importance accordée au travail, aux ressources et statuts qui y sont liés, demeurent prégnante, notamment pour les ménages qui en sont dépourvus.
Une aspiration au ralentissement
Plus d’un Français sur deux avoue qu’il aimerait, par rapport à sa situation actuelle, ralentir son rythme de vie (53%)³ . Ce désir d’une vie plus apaisée semble difficilement accessible, car il supposerait l’existence d’une réserve de temps disponible alors que deux tiers des Français estiment manquer souvent de temps pour faire tout ce qu’ils voudraient dans une journée . Le ralentissement s’efface dont derrière des stratégies d’optimisation : 61% déclarent toujours chercher à gagner du temps dans leur vie. Or, les données locales démontrent que les personnes qui estiment leur rythme de vie déséquilibré déclarent des niveaux de stress plus prononcés, une plus forte défiance envers autrui et des restrictions en matière de soins et de dépenses plus élevés que les autres⁴ .
On voit néanmoins émerger des mouvements comme « slow life », qui prône le ralentissement de notre rythme de vie, en opposition à des phénomènes tels que la restauration rapide, le tourisme de masse, l'hyper connexion, la surconsommation, etc. Au-delà du rythme de vie, leurs adeptes visent la réduction de l’impact de leur mode de vie sur l'environnement ou une vie plus simple.
Hypermobilité et/ou ancrages locaux
Après plusieurs décennies d’intensification des flux à toutes les échelles, la soif d’ouverture au monde a trouvé son versant : l’aspiration au localisme. Habitat, consommation, tourisme, travail, sont revisités à l’aune de cette aspiration aux « circuits courts ». Des habitats alternatifs émergent et se déploient alors plus massivement, renouvelant le concept même de logement. Habitat modulaire déplaçable, occupations temporaires, logement intergénérationnel, habitat itinérant et "tiny houses", habitat participatif et auto-promotion, éco-villages, etc. : facteur de distinction et d’appartenance, le logement se plie à l’image de ses occupants – et ce alors que les prix de l’immobilier augmentent et que les carrières professionnelles sont moins assurées qu’avant.
L’évolution des modes de transport traduisent cette même fracture entre hypermobilité et localisme : entre les adeptes, toujours nombreux dans certains milieux, des « sauts de puce » en avion et ceux qui ne jurent que par les modes actifs, ils deviennent des modes d’expression et de représentation du monde. Recul de l’âge moyen de l’obtention du permis de conduire, développement du leasing et de l’auto partage, mouvements « vélorution », marketing « expérientiel » des constructeurs automobiles, etc. sont autant de manifestations de l’évolution des mentalités autour des modes de transport.
Temps choisis, temps subis : le temps, facteur d’inégalités
Si la valorisation du temps libre est un facteur de reconnaissance sociale, certains temps libres contraints, comme le chômage ou le temps partiel subi, sont facteurs d’insatisfaction et de précarités. La fragmentation du travail produit aussi des inégalités dans les temps sociaux : une multi-activité choisie sera source de valorisation pour celui qui exerce plusieurs compétences mais source de stress pour celui qui est obligé de combiner les petits boulots. Pour certaines personnes, la définition de dates et horaires de rendez-vous ou la projection dans un futur même proche, sont impossibles. Pour d’autres, la multiplication des « expériences » est une occasion de collecter autant de trophées : « faire » le Mont Blanc, « faire » un restaurant étoilé, le Colisée romain pour poster sur les réseaux sociaux la photographie associée.
L’observatoire des inégalités comptait un million de travailleurs pauvres en France en 2019, c’est-à-dire des travailleurs qui gagnent moins de 855 euros par mois : avoir un emploi ne protège pas, ne protège plus de la pauvreté. 57 % des salariés au SMIC travaillent à temps partiel et 15 % sont en contrat à durée déterminée ou en intérim⁵ . 42 % des actifs français à temps partiel ne l’ont pas choisi⁶ . Ce temps partiel subi touche davantage les ouvriers, les jeunes et les personnes immigrées. Ainsi, un tiers des personnes à temps partiel souhaiteraient travailler davantage⁷ , les forçant parfois à cumuler plusieurs emploi et employeurs ou à compléter leurs revenus par du travail à la tâche (micro-travail) – de plus en plus orchestré par des plateformes en ligne.
Si l’amplitude horaire de travail s’amenuise globalement depuis les années 1950, les horaires de travail atypiques touchent un nombre croissant de salariés : 35 % d’entre eux travaillent le samedi et 23 % le soir⁸ . Quant aux heures supplémentaires, elles concernaient 6 % des salariés à temps complet début 2006 pour 11 % fin 2018, suite à la politique de défiscalisation.
Quels enjeux pour les politiques publiques ?
Comment prendre en compte cette très forte segmentation des temps de vie pour ajuster le service public pour tous, penser l’accessibilité du service public ? Comment lutter contre les inégalités, en travaillant notamment sur les horaires, l’offre tarifaire mais aussi sur l’accessibilité physique et culturelle (« s’autoriser à » ; levée des barrières linguistiques, physiques…) ?
Comment s’appuyer sur l’aspiration au ralentissement pour promouvoir un mode de vie moins générateur de pollutions, via la « ville du quart d’heure » ?
Comment intégrer ces questions de qualité de vie quotidienne, de « bien vivre » dans une stratégie d’hospitalité du territoire, en faire un atout tant pour ceux qui sont de passage (touristes) que pour ceux qui résident ?
¹ Viard J., Le triomphe d’une utopie : vacances, loisirs, voyages, Editions de l’aube, avril 2019.
² Harris Interactive, Volvo, Les Français et leur rapport au temps, janvier 2018, URL : https://harris-interactive.fr/opinion_polls/les-francais-et-leur-rapport-au-temps/ consulté le 25/02/2021
³ Ibid.
⁴ Enquête IBEST 2018, Temps et rythmes de vie.
⁵ Observatoire des inégalités, Un million de travailleurs pauvres en France, mai 2019. https://www.inegalites.fr/Un-million-de-travailleurs-pauvres-en-France?id_mot=76#nb1
⁶ INSEE Références, Durée et organisation du temps de travail, 27 février 2020, https://www.insee.fr/fr/statistiques/4277664?sommaire=4318291&q=%C3%A9volution+temps+de+travail
⁷ Observatoire des inégalités, Un tiers des personnes en temps partiel souhaiteraient travailler plus, https://www.inegalites.fr/Un-tiers-des-personnes-en-temps-partiel-souhaiteraient-travailler-plus?id_mot=103
⁸ DARES, « Le travail en horaires atypiques : quels salariés pour quelle organisation du temps de travail ? », DARES analyses n°030, juin 2018
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