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De la ville intelligente prometteuse à la sobriété humaine volontaire

Ville technologique pilotée par des capteurs, autonome et mathématiquement vertueuse, en capacité d’améliorer la qualité des services urbains et de réduire leurs coûts... La promesse initiale du concept de « smart city » se confronte au réel de sa mise en œuvre, à ses propres limites et externalités négatives. Face à ces écueils, de nouveaux modes de vie se placent dans une logique de sobriété.

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La smart city, mirage technologique de la ville durable ?

D’un point du vue énergétique, les modèles de bâtiments autonomes (démonstrateurs de la Presqu’Île ou de caserne de Bonne à Grenoble, Confluence à Lyon, etc.) font face à des difficultés dans le quotidien des usages et comportements. En effet, cette « variable humaine » est très difficilement modélisable par les algorithmes car peu stéréotypée, présentant une grande variabilité. Exemple parlant, l’usage qui consiste à ouvrir les fenêtres pour aérer vient heurter le modèle énergétique de ventilation imaginé dans les logements neufs de la caserne de Bonne¹. Par ailleurs, si les modèles visant les performances énergétiques formulées par la réglementation thermique 2012 (RT 2012) concernent principalement au confort thermique hivernal, les préoccupations des métropolitains en la matière s’intéressent bien plus aux inconforts d’été² .

 

Autre limite dénoncée de la « ville intelligente », le principe d’absorption massive de données (et leur traitement) met en péril la protection de données personnelles des usagers et ainsi la protection de la vie privée³. L’enjeu éthique est couplé à des risques de détournement de l’utilisation des données par des tiers motivés par un intérêt particulier.

Au-delà de ces limites, la smart city véhicule la promesse d’une société le progrès scientifique serait en capacité de résoudre facilement la majorité des problèmes, dont les enjeux climatiques. En effet, ce modèle techno-solutionniste ne suppose ni changements de comportement ni évolution profonde de l’organisation socio-économique mais une forme de progrès qui permettrait de maintenir les modes de vie actuels des plus favorisés. Cependant, la majorité des scientifiques réunis autour du GIEC indiquent que contenir le changement climatique impose une transformation assez radicale de nos modes de vie et notamment de notre rapport à la consommation, en particulier énergétique.

Sobriété : des paroles aux actes

La sobriété, étymologiquement définie comme la qualité de quelqu’un qui se comporte avec retenue, s’installe aujourd’hui dans les discours et les comportements, se posant en alternative ou en complément aux solutions techniques. Injonction destinée à revisiter nos consommations (énergies, déplacements, alimentation carnée, foncier, etc.), la sobriété  bouscule un demi-siècle d’un idéal de progrès fondé sur l’accès illimité aux biens et services. A l’échelle individuelle, elle incite à revisiter les désirs individuels et collectifs, à tracer des frontières entre l’indispensable, le nécessaire, l’utile et le superflu, à consommer mieux, voire à consommer moins. 

Cette orientation s’inscrit petit à petit dans les politiques publiques (sobriété énergétique, réduction des déchets, etc.) et vient rejoindre des pratiques déjà adoptées par des militants – qui sont souvent des militantes. Un temps minoritaires, ces citoyens organisés inspirent les modèles de l’écologie politique mais aussi une partie de la jeunesse. Par exemple, fort d’une centaine de groupes locaux répartis en France, le mouvement des Colibris place le changement personnel au cœur de sa raison d’être, convaincu que « la transformation de la société est totalement subordonnée au changement humain ». La « simplicité volontaire » ou « sobriété heureuse » s’étendent, incitant à réduire volontairement sa consommation, ainsi que les impacts de cette dernière, en vue de mener une vie davantage centrée sur des valeurs définies comme « essentielles ». Cet engagement personnel et/ou associatif découle de multiples motivations qui vont habituellement accorder la priorité aux valeurs familiales, communautaires et écologiques.

L’expérience récente de la pandémie et des confinements ont conduit nombre de foyers, pas forcément militants de l’environnement ou démunis, à se recentrer sur des besoins fondamentaux : « les conceptions associées à l’épanouissement personnel, à l’émotion et à la relation aux autres progressent et engendrent, avec la Covid-19, une envie de consommer moins et mieux ⁴». Déconsommation et décroissance émergent comme des options, avec des entreprises qui essaient d’y adapter leur modèle économique : les constructeurs automobiles encouragent la location, les marques de prêt à porter investissent dans la seconde main, etc.

 

En parallèle, les dynamiques liées à « l’économie du partage » se développent à vive allure. Pour Thibault Daudigeos, elles désignent des nouveaux modes de consommation permettant de partager entre consommateurs l’usage ou la consommation de produits, équipement ou services et se décompose en 3 cercles⁵. Il distingue l’économie de l’accès, c’est-à-dire la mise à disposition d’autrui d’un bien ou d’un service jusque-là sous-utilisé, par exemple une connaissance (Wikipédia en est un exemple connu), un logement, une voiture ou une place de voiture, un outil de bricolage, etc. Une autre sphère est l’économie de plateforme, qui permet la diminution des coûts d’intermédiation entre l’offre et de la demande (c’est le modèle Uber ou Air BnB). Enfin, la dernière sphère correspond à l’économie communautaire, qui se veut une alternative aux relations de marché ou de hiérarchie, à l’instar des accorderies ou des systèmes d’échanges locaux.

 

C’est bien l’acceptation sociale et l’adoption croissante de ces modes d’échanges qui favorisent l’essor de l’économie du partage. On observe un changement dans l’arbitrage entre la propriété et l’usage, dans la mesure où beaucoup de de ressources individuelles sont sous-utilisées : la paire de skis, la voiture, l’appareil à raclette, la chambre d’amis, le costume de mariage, etc. Ces évolutions amènent à reconsidérer les cycles de vie des produits, vers une optimisation de leur utilisation et le réemploi.

Pour les territoires, l’économie du partage peut constituer une véritable opportunité si les acteurs publics accompagnent la mise en place de plateformes de territoire, pour fluidifier et faciliter les échanges à l’échelle locale. Conciergeries de quartier, « fablabs » (fabrication laboratories), bibliothèques, EHPAD, bureaux de poste, etc. sont autant de lieux existants qui pourraient devenir des places d’échanges pour faciliter la vie des gens au quotidien. A l’échelle de la métropole pour l’autopartage, Citiz s’appuie sur une gouvernance prônant l’équilibre entre intérêt général et intérêts privés, sous forme de SCIC depuis 2005. Selon Thibault Daudigeos⁶, la puissance publique peut favoriser l’émergence de « champions de territoire » qui ferment la possibilité à des plateformes beaucoup plus prédatrices de s’installer.

 

¹ Vincent Renauld, Fabrication et usage des écoquartiers, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2014, page 47.

²  IBEST 2018

³ Bruno Marzloff, Y a-t-il un pilote dans la smart city ?, Sociétés n°132, 2016.

⁴ Ludivine Blanc, Pasale Hebel, Thierry Mathé, Chloé Six, « Consommer plus sobre : une tendance que la crise de la Covid-19 pourrait amplifier », Consommation et modes de vie n°312, CREDOC, juin 2020, https://www.credoc.fr/publications/consommer-plus-sobre-une-tendance-que-la-crise-de-la-covid-19-pourrait-amplifier.

⁵ Cf. cahier thématique économie-emploi, OBS'y, 2019

⁶ Cf. cahier thématique économie-emploi, OBS'y, 2019.

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Enjeux pour les politiques publiques :

Comment se saisir de l’expertise d’usage et appréhender les ressorts de comportements qui n’avaient pas été souhaités ou anticipés ?

Comment contribuer à protéger la vie privée ? Comment encourager les changements de comportement sans pénaliser les plus défavorisés ?

Comment encourager sans s’y substituer l’émergence de plateformes de territoire utiles au quotidien des habitants ?

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