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Équipements et sobriété : deux déterminants forts, le lieu d’habitation et le niveau de revenus
Jourdain, V. & Ottaviani, F. (2023), Rapport d’enquête. Pratiques Ecologiques, Grenoble Ecole de Management-Grenoble Alpes Métropole-ADEME, mai.
Dans l’empreinte carbone de chaque français, la consommation de biens et notamment des équipements de la maison représentent 15% des sources d’émission ramenées à l’individu. Il semblait donc intéressant de mieux comprendre les pratiques d’équipements des habitants de la métropole grenobloise.
Cette donnée n’étant pas disponible, elle a été collectée pour la première fois sur le territoire via l’enquête « pratiques écologiques ». Passée entre avril et mai 2023 auprès d’un panel représentatif de la métropole grenobloise, plusieurs questions portaient sur les pratiques de consommation et d’équipement. Le présent article zoome sur cette partie de l’enquête : que nous apprend-elle sur le taux d’équipements des habitants de la métropole ? Une première information très descriptive permet d’éclairer le taux d’équipements en électroménager. Les deux informations suivantes sont plus « raffinées » puisqu’elles analysent la façon dont les produits ont été achetés et leur durée d’usage (plus on garde un bien longtemps, moins il « émet » du carbone puisque ce sont essentiellement les phases de production des biens qui sont émettrices) : on étudiera ainsi les produits électroniques et vêtements et les biens de mobilité.
Electroménager : tout le monde a un frigo, un téléphone portable et un lave-linge… mais pas nécessairement de lave-vaisselle ou d’ordinateur fixe
Question : Taux d’équipement en électroménager
Les données locales sont comparées avec l’enquête « SRC-SILV » de 2016, analysée par le Ministère de l’environnement (SDES) en 2020. Dans le questionnaire SRC-SILV, il était demandé directement aux répondants s’ils possèdent tel ou tel équipement.
Dans l’étude « Pratiques Ecologiques », on a obtenu cette donnée indirectement, à partir d’une question sur le fait de considérer, ou non, chacun de ces équipements essentiels. Une option de réponse étant « je ne le possède pas », nous avons inféré que tous les répondants qui ne cochaient pas cette option possèdent effectivement l’équipement.
Un certain nombre d’items sont ajoutés dans le questionnaire « Pratiques Ecologiques » : les aspirateurs, les ordinateurs fixes, les réfrigérateurs (sortis de l’enquête SRCV car taux d’équipement avoisine les 100 %), les plaques électriques, les sèche-linges, les fours, les tablettes, les téléviseurs.
Légende : 95 % des répondants de SRCV-Silc en 2016 disaient posséder un téléphone portable, contre 98 % des répondants de l’enquête « Pratiques Ecologiques » en 2022.
On voit que le taux d’équipement en lave-linges, téléphones portables, réfrigérateurs, aspirateurs, fours et congélateurs dépasse les 90 % chez les répondants grenopolitains. Dans l’ensemble, le taux d’équipements est légèrement supérieur à l’enquête SRCV de 2016… ce qui traduit sans doute un effet temporel : en 6 ans, le taux d’équipement des ménages a augmenté.
Produits électroniques et vêtements : la faible qualité et la distance aux magasins comme freins à une consommation durable
Au-delà des traitements descriptifs et comparatifs présentés dans le rapport, pour chaque thématique analysée, les chercheurs ont construit plusieurs indices qui constituent les « variables à expliquer ». La construction d’indices permet de « quantifier », même si cette quantification est abstraite, l’intensité environnementale des pratiques. Ils ont fait le choix de construire des indices de « non-sobriété », plutôt que de sobriété. Autrement dit, plus ils croissent, moins le comportement peut être assimilé à des pratiques environnementales. Ce choix est fait pour souligner que la sobriété passe par une réduction des empreintes.
Les deux premiers indices décrivent l’équipement en appareils multimédias (ordinateurs, smartphones, tablettes, téléviseurs) et en vêtements (tous vêtements confondus).
Leur construction repose sur des principes similaires : on croise (multiplie)
-
le « score » du mode d’acquisition de produit en estimant que l’achat en ligne est moins durable que l’achat en magasin, lesquels sont moins durables que l’achat d’occasion,
-
et la durée de possession de ce dernier. Plus la durée de possession est courte, plus l’empreinte environnementale est forte.
Ce mode de calcul défavorise mécaniquement la tranche des répondants les plus jeunes, qui ont plus nécessairement acquis récemment leurs équipements. Cette effet « première installation » est observé dans nos croisements.
Leurs répartitions respectives donnent les graphes suivants :
Légende : plus la valeur de l’indice est importante, plus les pratiques d’équipements électriques et électroniques sont peu vertueuses environnementalement.
Il existe, pour ce premier indice d’équipements électroniques, une corrélation claire avec la densité urbaine de la commune d’habitat des répondants : l’indice est plus faible chez les Grenoblois, légèrement plus important chez les habitants de communes denses et encore plus important chez les habitants de communes peu denses. Cet écart s’explique en partie par l’offre de magasins : les achats sont plus fréquemment effectués en ligne dans le péri-urbain moins équipés en commerces. Mais le taux de renouvellement des équipements, plus important, mérite d’être creusé.
En revanche, après vérification, la variable de la surface du logement n’explique pas cette corrélation. L’indice n’est pas non plus corrélé aux variables de diplôme ou de catégorie socio-professionnelle. Etonnamment, il n’est pas non plus lié au revenu du foyer. Par contre, on voit que les femmes sont un peu plus sobres en matière d’équipements électroniques et électriques que les hommes.
Légende : plus la valeur de l’indice est importante, plus les pratiques de consommation textile sont peu vertueuses environnementalement.
Pour l’indice d’équipement textile, là encore, l’implantation géographique joue un rôle important : les Grenoblois et les répondants des communes denses ont à nouveau des indices plus « environnementaux » que les répondants de communes peu denses : ils et elles gardent plus longtemps leurs vêtements et/ou les achètent plus souvent d’occasion. Là encore, l’offre de magasins de première ou seconde main explique sans doute en partie cette différence.
On constate une forte corrélation avec l’âge : plus on est jeune, plus on renouvelle sa garde-robe.
On note également une légère différence entre les hommes et les femmes, puisque ces dernières ont un indice légèrement plus haut.
Enfin, étonnamment, plus les ménages ont des revenus élevés, plus leur indice de sobriété textile est élevé. Sans doute faut-il lire ici la question de la qualité des vêtements achetés : leur durabilité permet de moins souvent les renouveler.
Equipement de mobilité : un lien direct avec le revenu et le lieu d’habitation
Cet indice est également fondé sur l’attribution d’un score à des catégories de biens (4 pour les voitures et les deux-roues à moteur thermique, 3 pour les voitures ou deux-roues à moteurs électriques, 2 pour les vélos et trottinettes électriques, 1 pour les vélos et autres équipements mécaniques). Ici, contrairement aux pratiques de mobilité quotidienne, c’est-à-dire relative à un usage, le score attribué aux vélos n’est pas de zéro, pour prendre en compte l’empreinte environnementale de sa fabrication. Ensuite, on additionne le score de l’ensemble des biens déclarés.
Légende : plus la valeur de l’indice est importante, plus les pratiques en termes d’équipement automobile sont peu vertueuses environnementalement.
A partir de la répartition des scores, présentée ci-dessus, on peut observer que c’est la voiture, avec son score de 4, qui fait réaliser un « saut » dans l’indice de non-sobriété de l’équipement automobile. La grande majorité des grenopolitains en sont équipés, voire, pour ceux qui habitent plus loin, disposent de 2 voitures (scores supérieurs à 8). Sans surprise, l’indice est corrélé avec le lieu d’habitat : les habitants des communes peu denses sont beaucoup plus équipés que les habitants des communes denses et de Grenoble.
De manière marquante, on observe donc là encore que le lieu de résidence influence fortement les pratiques de consommation et d’équipement. Les individus sont déterminés par leur environnement immédiat : les contraintes ou opportunités qu’il offre ont un impact direct sur leur capacité à réduire ou augmenter leur empreinte carbone.
L’indice d’équipement de mobilité est très fortement corrélé à des facteurs économiques, comme le revenu ou la profession. Etant donné le prix des équipements automobiles, il n’est pas étonnant que le pouvoir d’achat soit le principal déterminant.
Plus on est riche, moins on consomme durable ? Les deux indices de consommation étudiés ici nuancent ce raccourci : la catégorie socio-professionnelle et le revenu, c’est-à-dire des facteurs « statutaires », ne déterminent qu’une partie de nos impacts carbone de consommation. Les ressources économiques déterminent des comportements d’investissement en « négatif » (plus de voitures, plus d’équipements de la maison) mais traduisent également une capacité à améliorer la qualité des biens (isolement du logement) ou à acheter des produits qui durent : si j’ai plus de moyen, je peux acheter des produits de meilleure qualité et donc les renouveler moins souvent.
Ceci étant, la mobilité étant un des premiers postes d’empreinte carbone, ce sur-équipement en voitures a un effet d’entrainement significatif, comme l’indique la synthèse de l’ADEME à partir du test « nos gestes climat »¹
Sans surprise², le niveau de revenu est un facteur explicatif fort en ce qui concerne l'empreinte carbone. De fait, plus les revenus sont élevés, plus l'empreinte carbone moyenne est elle aussi élevée. Certes, la différence s'avère relativement marginale entre les tranches de revenus mensuels nets du foyer inférieure à 5000 euros, avec un écart de 1.5t entre la tranche la plus basse (en moyenne 7t pour ceux déclarant moins de 750 euros) et la plus élevée (8.5t pour ceux dont le foyer gagne 3500 à 49999 euros). En revanche, l'augmentation de l'empreinte carbone devient exponentielle dès lors que l'on s'intéresse aux tranches de revenus égales ou supérieur à 5000 euros pour atteindre une moyenne de 11.6t parmi les personnes aux revenus supérieurs à 65000 euros (soit un écart de 4.6t avec les revenus les plus modestes).
Dans le détail, l'empreinte carbone des Français est portée pour la moitié par deux domaines : les transports et l'alimentation. Toutefois, une empreinte totale élevée est le plus souvent synonyme d'une empreinte avant tout dominée par le secteur des transports et celui du logements (respectivement 39% et 38% de l'empreinte moyenne des personnes qui émettent plus de 15t par an au total).
Zoom méthodo : le baromètre des transitions
Le projet « Baromètre des transitions » est développé en coopération entre Grenoble Alpes Métropole, Grenoble Ecole de Management (GEM) et l’ADEME sur un horizon de trois ans. Le projet « Baromètre des transitions » vise à :
- Enquêter de manière régulière auprès des habitants du territoire métropolitain grenoblois sur leurs représentations des enjeux environnementaux, leurs comportements, les leviers d’accompagnement au changement, la réception voire les effets des interventions métropolitaines dans ce domaine.
- Dresser des profils qui permettent de mieux cibler le niveau attendu et les modalités d’un accompagnement au changement de pratiques ou comportements vers plus d’écoresponsabilité : typologies par âge/moments de vie, catégories socio-professionnelles/niveau de revenus, territoire/type d’habitat et mode de vie urbain ou rural…
- Evaluer la réception, par les habitants, des dispositifs (offre de service public, aménagements, réglementation, campagne de communication, etc.) existants ou avant même leur mise en service, afin de tester leur recevabilité et les conditions de leur réussite, selon les profils.
La première enquête du Baromètre permet d’aborder de manière transversale les pratiques sociales en matière environnementale.
Le projet « Baromètre des transitions » s’appuie sur un Panel de recherche territorialisé lancé en mai 2020 par GEM. Les participants sont des résidents des 49 communes de Grenoble Alpes Métropole invités à participer à des études en ligne régulières sur des sujets d’actualité liés au territoire. Une seule personne par foyer peut participer au Panel. Le Panel est régi par un conseil scientifique de professeurs de GEM qui valide le choix des études distribuées par le panel. Fondé sur le modèle d’autres panels de recherche, comme celui de l’Université d’Aarhus au Danemark, le panel permet à tout habitant de la Métropole de plus de 18 ans, non salarié(e) ou étudiant(e) de GEM, de s’inscrire sur une plateforme dédiée, et de recevoir régulièrement des invitations à participer à des études en ligne indemnisées.
Chaque étude prend la forme d’un questionnaire à remplir en ligne, d’une durée de 30 minutes environ et d’une indemnisation à hauteur de 5€.