Focusgroup des professionnel·les de terrain, mars 2021
Depuis 2016, un focus group¹ annuel, animé au sein de chacun des dix quartiers prioritaires de Grenoble-Alpes Métropole, rassemble des professionnel·le·s de terrain intervenant dans le périmètre du quartier. Cet article propose une synthèse des enseignements des sessions de 2021, autour des besoins et de l’offre d’accompagnement sur les enjeux d’éducation et de parentalité. Attention, les contenus de cet article autour des besoins des familles avec enfant(s) sont issus de la parole des pofessionnel·les de terrain (assistantes sociales, bailleurs sociaux, associations, agent de prévention, espaces verts, régie de quartier…) et non des familles elles-mêmes.
Selon les professionnel·les des focus group, les principaux besoins des habitant·es auraient tous été accrus en 2020, année frappée par la crise sanitaire et altérée par les mesures de confinement dédiées. Ce renforcement des difficultés découle à la fois des conditions de vie davantage précarisées, au regard de l’emploi, de l’habitat, de la santé ; et de l’offre en dispositifs d’accompagnement, moins accessible voire suspendue sur certaines périodes. En conséquence, les difficultés scolaires se sont accrues, générant du décrochage. De même, les familles – en particulier les mères, parfois seules – ont dû déployer toujours plus de stratégies de garde, pour articuler confinements et emplois du temps compliqués.
La difficile gestion des temps et des modes de garde, cumulée à des barrières administratives
Les contraintes éducatives évoquées par les participant·es du focus group concernent d’abord les modes de garde d’enfants en bas âge. Outre le frein financier des familles, l’offre ne répondrait pas toujours aux attentes : certains parents font le choix de ne pas confier leurs enfants aux équipes éducatives et se tournent davantage vers l’assistance maternelle, à domicile ou par un tiers. Ce choix viendrait contraindre les marges de manœuvre des parents, principalement des mères, et augmenter leur charge mentale. Selon les professionnel-les, les conséquences qui en résultent dépasseraient le cadre de la parentalité : ils/elles ont notamment identifié des freins pour les familles à engager des projets d’insertion ou de formation. Ce difficile exercice d’organisation des emplois du temps est d’autant plus complexe pour les familles monoparentales et les couples dont les conditions d’emploi sont précaires.
Aux questionnements autour des modes de garde, s’ajoutent les problématiques d’accès aux droits et aux démarches administratives. En effet, certaines familles éprouvent la barrière de la langue pour recourir aux services et pour entretenir des relations avec les établissements scolaires. En 2020, les besoins de soutien auraient sensiblement augmenté : « la demande d’accès au droit et de soutien aux actions parentales a toujours été importante mais là, on voit une augmentation dans tous nos services : écrivain public, surendettement, accompagnement santé CMU... »². Les acteurs du social témoignent d’un manque de temps pour réaliser de l’aller-vers auprès des publics les plus éloignés ou méconnus des services et de leviers pour favoriser l’implication des pères autour des questions éducatives. Enfin, les confinements ont intensifié ces fragilités existantes : des familles ont perdu leurs emplois, parfois informels, d’autres au contraire, qui occupaient des postes essentiels comme les caissières et les professionnelles du care, ont poursuivi leur activité malgré le besoin de garde à domicile d’enfant(s).
De fragiles conditions de logement exacerbées par les mesures de confinements
L’absence d’espace dédié au travail scolaire, avec parfois plusieurs enfants au sein d’une même chambre couplé à un besoin d’accompagnement des parents pour l’école à la maison, ont particulièrement impacté les élèves des quartiers populaires en 2020. « Cela s’est superposé avec d’autres difficultés, notamment l’aggravation de difficultés financières et des problématiques d’épuisement parental »³. Les espaces parfois réduits au sein du logement pour une vie confinée prolongée, renforcent des conditions de vie relativement délicates pour les enfants et pour les parents. Des situations familiales sensibles ont été enregistrées, avec parfois des négligences ou de la maltraitance. « On a eu des parents qui n’en peuvent plus et qui s’enferment dans leur chambre une heure ou deux pour souffler, sans leurs enfants. Est-ce que c’est de la maltraitance ? C’est compliqué… ». Plus inquiétant, des élèves ont par ailleurs remonté des situations de violences intra-familiales.
Parmi les tensions, les professionnel·es ont en outre souligné la difficulté des parents à pallier l’éloignement de l’enseignant et notamment à gérer « l’appel des écrans » pour les enfants. Ordinairement, les structures d’accompagnement à la parentalité, institutionnelles ou associatives, proposent des sensibilisations aux usages du numériques et préviennent des risques vis-à-vis de la dépendance aux écrans.
L’augmentation du décrochage scolaire renforce le besoin préexistant d’accompagnement à la scolarité les mesures de confinements
En 2021, les professionnel·les de terrain soulignent une augmentation des besoins d’accompagnement à la scolarité des habitant·es des quartiers.
D’abord autour des difficultés scolaires, notamment de lecture. Les parents cherchent des soutiens pour l’aide aux devoirs, dont l’offre actuelle serait insuffisante. Ce support aux élèves s’avère nécessaire pour compenser des niveaux de diplômes relativement faibles au sein des familles mais aussi pour proposer aux enfants un cadre plus propice aux devoirs. Le contexte de l’année a fortement affecté l’aide aux devoirs ainsi que l’accueil et les projets à destination des jeunes. Le rôle des enseignant·es par le lien que certain·es ont pu conserver avec les familles était donc primordial pour certains enfants. Par ailleurs, le premier confinement aurait eu des conséquences sur les liens entre « vivre ensemble » et « éducation » : « de septembre à novembre [2020], il a fallu resensibiliser les enfants aux règles de vie et au fonctionnement de l’école ».
Ensuite, autour de l’orientation et des besoins spécifiques. Les élèves à besoins particuliers (ex : troubles autistiques) nécessitent une orientation adaptée en IME, ITEP, en classe SEGPA ou ULIS⁴ … L’offre est considérée de moins en moins capable de couvrir les besoins des familles avec notamment des délais d’attente conséquents :
«18 mois désormais pour avoir une aide éducative à domicile ». Plus largement, les élèves rencontreraient des difficultés pour s’orienter, exacerbées cette année par le manque de rencontres entre les parents et les équipes pédagogiques. Des structures tissent des liens avec les équipes et font le pont avec les parents. De fait, les associations, les missions locales, les équipes du programme de réussite éducative (PRE) ou encore les éducateur·rices de la prévention spécialisée travaillent auprès des jeunes sur les parcours scolaires. Elles mènent ainsi un ensemble d’actions pour leur développement, leur autonomie et leur socialisation.
Enfin, pour lutter contre le décrochage scolaire, aggravé par la crise sanitaire. Les acteurs des quartiers ont essayé de mettre en place des outils pour accompagner au mieux les enfants (aide aux devoirs, prêts de matériels informatiques, lien avec les écoles...) mais le soutien en distanciel n’était pas toujours possible et « le niveau scolaire des élèves a plongé ». Des retards sont particulièrement observés parmi les élèves de CP mais aussi de CE2 ou de 4e. Les parents font remonter leurs angoisses par rapport au suivi scolaire de leurs enfants et leur occupation pendant les temps de confinement et les professeurs des écoles alertent sur les acquis scolaires remis en cause et dénoncent des inégalités scolaires qui se creusent. « Il y a des enfants qui ne savent presque même plus lire ! ».
Plusieurs dispositifs de soutien seraient bien identifiés et fréquentés par les habitant·es. Des services de santé scolaire, ou dédiés aux temps pédagogiques parents-enfants en passant par l’offre culturelle des bibliothèques, tous accompagnent les familles autour de la scolarité, de la parentalité et parfois de la protection de l’enfance. Le réseau « REP+ » est parfois cité par les participant·es comme un bénéfice pour les quartiers concernés par les moyens supplémentaires qu’il apporte.
¹ Le focus group est une méthode d’entretien collectif reposant sur la dynamique de groupe. Sa composition favorise la diversité des regards portés sur le quartier et sur ses habitants. Les échanges croisent les connaissances, les opinions et les expériences
² Professionnelle d’un des dix focus group réalisés en 2021
³ Professionnel d’un des dix focus group réalisés en 2021
⁴ Institut Médico Éducatifs (IME), Institut Thérapeutique Éducatif et Pédagogique (ITEP), Section d’Enseignement Général et Professionnel Adapté (SEGPA), Unité Localisée pour l’Inclusion Scolaire (ULIS)